La liberté de presse sous attaque économique, politique et judiciaire

A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai, impressum - les journalistes suisses - déplore d’une part, la concentration toujours plus accrue des médias suisses et d’autre part, que des journalistes soient victimes d’accusations insensées alors même qu’il ne font qu’exercer leur métier dans l’intérêt public.

[Translate to französisch:] Medienfreiheit der BV unter dem Radiergummi

Médias suisses : toutes les cartes sont rebattues

A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai, impressum - les journalistes suisses, la plus grande organisation professionnelle des journalistes de Suisse, publie un panorama des mutations survenues en 2017 dans les médias de notre pays.

« La Dispute des médias ». C’était le titre d’un débat pas comme les autres qui s’est tenu le 28 avril dernier à la Maison de paix à Genève et qui a réuni toute une série d’acteurs de la place représentant Tamedia, la RTS, Le Temps, Léman Bleu, Heidi.news ou encore Republik.

Si la teneur de cette rencontre avait une acuité particulière, c’est parce qu’elle est intervenue juste après l’annonce du rachat par Tamedia du journal régional « Basler Zeitung » en échange duquel Christoph Blocher a pris des participations dans les gratuits romands GHI et Lausanne Cités et dans le Tagblatt des Stadt Zürich (qui fait aussi office de Feuille d’avis officielle de la ville). L’ex-conseiller fédéral UDC précise qu’il prendra soin de mettre les bonnes personnes à la tête des rédactions. Dont acte.

 

La percée romande de l’empire Blocher

Zeitungshaus, le pôle presse de l’empire Blocher, a racheté en août 2017 25 titres diffusés dans les périphéries résidentielles zurichoises, argoviennes et saint-galloises. Certains y voient un calcul économique clair, une volonté d’exploiter un pôle d’information locale rentable, analyse le spécialiste des médias à l’Université de Genève Philippe Amez-Droz en comparant le tribun zurichois au magnat de la presse australo-américain Rupert Murdoch : « Un pari un peu similaire à celui fait par le tycoon Rupert Murdoch a qui a rassemblé les titres de presse locaux aux Etats-Unis ». Cumulés, les journaux locaux en mains de Zeitungshaus AG représentent un bassin de population de 1,3 million de personnes.

Des pistes de réflexion en tout genre sont évoquées. Comme celle d’un soutien à la distribution, un soutien à la formation des journalistes ou encore la création de synergies entre la Feuille des avis officiels et la presse quotidienne. Reste que lors de son assemblée des délégués annuelle 2018, impressum-les journalistes suisses a voté à l’unanimité pour la création d’un fonds de grève et est devenu par ailleurs membre fondateur du projet romand de l’association Fijou pour un nouveau financement du journalisme.

 

Séisme à l’ATS et service public en Suisse

Mais deux événements ont marqué au fer rouge l’année médiatique 2017 et le début de 2018. D’abord, la votation sur la suppression de la redevance No Billag, finalement refusée à une écrasante majorité en mars 2018, mais qui a fait planer sur le peuple suisse la disparition du service public ainsi que d’une trentaine de chaînes de radio et télévision privées aussi dépendantes de la redevance. Ensuite, la grève historique de l’Agence télégraphique suisse (ATS), qui a vécu un véritable séisme après l’annonce de sa fusion avec Keystone et celle de son impitoyable restructuration (36 postes supprimés) qui met en péril la couverture médiatique plurilingue du pays, engrais principal de l’ensemble des médias suisses. Entre janvier et avril 2018, 17 collaborateurs jettent l’éponge de leur plein gré. Ces départs s’ajoutent aux 25 licenciements déjà prononcés. Au total, la rédaction comptait 150 journalistes. Les collaborateurs de plus de 60 ans ont été mis à la porte manu militari, essuyant des diminutions aussi abruptes qu’importantes de leurs rentes vieillesse. La restructuration annoncée doit mener, d’ici 2020, à la suppression d’un poste sur 4. C’est un carnage.

 

Le déclin des régies de pub

Du point de vue des régies publicitaires, le paysage est également extrêmement bousculé. Publicitas voit ses plus gros clients, Tamedia ou encore Ringier, se débiner. Quant à Admeira, l’entité controversée créée en 2016, la SSR songe finalement à s’en désengager. Tamedia serait intéressé pour reprendre ses parts (33,3%) mais vient d’acquérir Golbach, justement pour contrer l’émergence de cette joint-venture signée Ringier, Swisscom et SSR. Au niveau local, en mars 2018, l’éditeur du groupe de presse de quartiers genevois, « Les Nouvelles », mettait la clé sous la porte et sa régie publicitaire déposait le bilan.

 

L’enterrement de L’Hebdo

En février 2017, c’est l’explosion de la newsroom commune aux deux titres de Ringier, Le Temps et L’Hebdo, qui bouleverse tant les Romands que le paysage médiatique francophone de Suisse.

 L’Hebdo cesse de paraître le 2 février. Trente-six collaborateurs sont remerciés. Dix collaborateurs de L’Hebdo et vingt employés du Temps sont concernés. Les six postes restants étaient des services mutualisés (marketing, iconographie, etc). Un peu plus d’un an plus tard, en avril 2018, Ringier annonce avoir significativement amélioré son excédent brut d’exploitation. Ringier ferme son centre d’impression d’Adligenswil (LU) an décembre 2017.

 

Des concentrations toujours plus fortes

En même temps que la fusion de « Le Matin » et de « 20 Minutes », et de nombre de rubriques devenues communes aux régionaux romands « Tribune de Genève » et « 24 Heures », annoncée en août 2017 et effective depuis janvier 2018, le groupe Tamedia opère de manière similaire outre-Sarine : le groupe a fusionné les équipes du « Tages-Anzeiger », du « Bund », de la « Berner Zeitung », du « Landbote » et d’autres journaux régionaux zurichois. Et le sort de la « Basler Zeitung » nouvellement acquise par Tamedia ne sera guère différent.

Le groupe argovien AZ Medien, quatre fois moins grand que Tamedia, suit néanmoins la même tendance. Nonobstant ses 2,5 millions de bénéfices en 2016, il met actuellement en commun ses journaux régionaux et ceux du groupe NZZ. Pour 19 journaux alémaniques de cette nouvelle entité, seules les cahiers locaux devraient se distinguer les uns des autres.

 

De nouveaux médias quand même

Malgré la morosité du contexte médiatique, des initiatives continuent de voir le jour. Comme celle de la création de la newsletter payante, Gotham, lancée en avril 2017. Elle traite les affaires de criminalité économique et est envoyée à 80% à des cabinets d’avocats qui paient entre 1090 et 2000 francs par an pour cette veille judiciaire.

 Par ailleurs, la création de « Bon pour la tête » a attiré 230'000 francs de financement participatif qui, estime ce média online d’un nouveau genre, devraient lui permettre de tourner pendant 3 ans. Côté alémanique, c’est « Republik » qui donne du baume au cœur et parie sur l’indépendance du financement de cette plateforme online gérée par des journalistes de haut vol.

Une agence spécialisée dans la réalisation de vidéos, Kapaw, a également vu le jour et peut se targuer d’un partenariat avec Le Temps.

A Lausanne, « La Ficelle » qui se veut locale et littéraire, est née. Un pool de journalistes, écrivains et photographes travaillent à titre bénévole. Les 10'000 francs nécessaires au lancement de cette publication trimestrielle ont été levés en financement participatif également.

 Un autre projet, « Météore », un journal de photos grand format à parution aléatoire (tous les lundis 13) a également le mérite d’exister depuis peu.

 

Des journalistes devant les tribunaux

Au rayon judiciaire, il se trouve pourtant encore des journalistes pour être traînés devant les tribunaux de notre pays. C’est le cas du journaliste de la RTS Joël Boissard, dont la condamnation pour fraude électorale, alors qu’il voulait démontrer le dysfonctionnement du vote électronique, vient heureusement d’être annulée par le Tribunal fédéral. Mais certaines histoires n’ont pas encore d’issue heureuse.

Les journalistes tessinois de l’hebdomadaire « Il Caffè » sont actuellement suspendus à leur recours en justice. Leur faute ? Avoir dénoncé, dans le cadre d’une série d’articles, de graves dysfonctionnements à la clinique Sant’Anna de Lugano. Un chirurgien avait notamment procédé à l’ablation de deux seins de la mauvaise patiente. Cela n’avait pas empêché le Ministère public du Tessin de condamner le directeur du journal pour diffamation répétée. Il avait écopé d’une peine pécuniaire de 60 jours à 270 francs avec sursis de deux ans et d’une amende de 2000 francs. Le journaliste a fait recours et l’affaire est actuellement jugée.

Dans le canton de Vaud, le gouvernement aurait épluché les relevés téléphoniques de ses ministres pour identifier le conseiller d’Etat qui avait laissé filtrer des informations auprès des journalistes locaux, violant ainsi allègrement le principe de la protection des sources garantie par l’article 17 alinéa 3 de la Constitution fédérale.

Dans le canton de Genève, c’est l’affaire Gandur qui met à mal la liberté de la presse. L’homme d’affaires a traîné le quotidien genevois « Le Courrier » devant les tribunaux pour calomnie et diffamation suite à la parution de son portrait dans le cadre du partenariat public-privé pour l’agrandissement du Musée d’art et d’histoire. Après l’avoir débouté de ses prétentions de réparation financière, le Tribunal fédéral a annulé la décision de non-entrée  en matière prise au bout du lac et a renvoyé l’affaire à Genève. Un procédure civile oppose également Jean-Claude Gandur au Courrier.

Ainsi, impressum - les journalistes suisses déplore d’une part, la concentration toujours plus accrue des médias suisses, tenus par une poignée de mastodontes de Saint-Gall à Genève, et dont la diversité s’appauvrit toujours plus, et d’autre part, que des journalistes soient victimes d’accusations insensées alors même qu’il ne font qu’exercer leur métier. 

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